Un rapport de la chambre
régionale des comptes (CRC) épingle la gestion municipale de Michèle Tabarot,
maire du Cannet et secrétaire générale de l’UMP. Sur son bureau depuis fin
octobre, elle n’en a pas fait état avant les trois mois de réserve imposés par la
loi en période électorale. Parallèlement, un jugement de la CRC a pointé le «
paiement irrégulier » de primes à des collaborateurs de son cabinet, pour plus de
51 000 euros.
C’est un rapport que Michèle
Tabarot, secrétaire générale de l’UMP, députée et maire du Cannet (Alpes-Maritimes),
aimerait garder secret jusqu’à la fin des élections municipales. Envoyé le
24 octobre à la mairie, ce rapport de la chambre régionale des comptes (CRC)
de Provence-Alpes-Côte d’Azur épingle la gestion du Cannet, dont elle est maire
depuis 1995. Le contrôle, débuté le 16 mai 2012, a porté sur la période 2006-2011,
et quelques éléments d’actualité. Mais bien que finalisé, le rapport n’est pas
sorti du bureau de la maire.
Le président de la CRC, Louis
Vallernaud, explique à Mediapart que le document reste « confidentiel jusqu’à
ce que le conseil municipal l’examine ». Or, Michèle Tabarot n’a pas réuni
ses élus municipaux depuis la remise du rapport. Et depuis le 1er décembre,
elle bénéficie de la période de réserve de trois mois prévue par le code des
juridictions financières avant les élections municipales, qui se tiendront les
23 et 30 mars. L’article L.243-5 précise en effet que « le rapport d’observations
ne peut être publié ni communiqué (...) à compter du premier jour du troisième
mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections
pour la collectivité concernée et jusqu’au lendemain du tour de scrutin où l’élection
est acquise ». Jusqu’au 31 mars, le document est donc « gelé », explique
le président de la CRC.
Pourquoi ne pas avoir réuni les
élus municipaux avant cette période de réserve ? L’adjointe aux finances
du Cannet, Muriel Di Bari, a expliqué à Nice-Matin« qu’une séance du
conseil municipal s’est tenue durant le dernier trimestre 2013 et nous ne
disposions pas alors du rapport ». Car cette année, le conseil municipal a
été avancé au 3 octobre. En 2010, 2011 et 2012, Michèle Tabarot avait
pourtant organisé le dernier conseil de l’année en décembre.
Nous avons contacté à de
nombreuses reprises le collaborateur de Michèle Tabarot, son cabinet, le directeur
général des services du Cannet, ainsi que le service des finances. Ce n’est pas
la mairie, mais l’avocat de la ville qui nous a répondu. Dans un courrier adressé
le 6 janvier au directeur de publication de Mediapart, Edwy Plenel, Me
Guillaume Gauch met en garde : « Ce rapport reste, à ce jour, confidentiel
et sa publication paraît constituer une violation du secret professionnel. »
« Au regard des conséquences
de droit qui s’attacheraient à la publication de ce rapport, je vous invite
donc à vous en abstenir pour vous conformer aux prescriptions légales »,
explique l’avocat en citant le code des juridictions financières, obligation
qui n’est pas assortie de sanctions. « Dans ces conditions, il est donc
interdit à ce jour de réunir un conseil municipal aux fins de communiquer le
rapport définitif d’observations de la CRC », écrit-il.
Les conseillers municipaux de l’opposition
(divers droite, PS, Front de gauche), eux, s’étonnent de n’avoir pas été « avisés
de ce contrôle » et de son « résultat ». Dans un courrier commun
daté du 24 décembre, ils demandent à Michèle Tabarot de « réunir, sans
délai, le conseil municipal ».
Une dette de 83 millions d’euros
Élu divers droite et candidat aux
municipales, Laurent Toulet dénonce un « déni de démocratie ».
« L’attitude de Mme Tabarot c’est : "Le contrôle a lieu, je n’en
parle à personne. Je reçois le rapport, je n’en parle à personne. Je reçois un
courrier avec accusé de réception des élus de l’opposition, je ne réagis
pas." »
« Nous avons pris cette
initiative commune car c’est un problème qui traverse la droite et la gauche »,
estime l’élu PS José Garcia Abia. Candidat aux municipales, il déplore lui
aussi « un manque de démocratie et de consultation des élus » au
Cannet. « Nous ne sommes tenus au courant des choses que lorsqu’on les
devine. On est convoqués pour les conseils municipaux au tout dernier moment,
dans les commissions on ne peut rien dire car tout est déjà bouclé. Je n’ai
jamais vu cela dans d’autres communes du coin. »
La procédure de la CRC a duré
dix-sept mois, et la maire a utilisé les deux délais légaux (trois mois au total)
pour répondre aux observations. Pour les élus de l’opposition, Michèle Tabarot
a voulu « jouer la montre », rapporte Laurent Toulet. « La
procédure a été très longue. Mme Tabarot a gagné du temps, sinon cela aurait
obligé la ville à en faire état. Elle veut attendre la fin des élections. »
« Il n’est pas possible, en
l’état, de satisfaire cette demande, même si nous le souhaiterions vivement »,
assure l’adjointe aux finances dans Nice-Matin. En réalité, Michèle Tabarot
aurait tout à fait pu rendre compte de ce rapport entre le 24 octobre et
le 1er décembre, mais elle a choisi de ne pas le faire. Selon
le quotidien, le conseil municipal ne sera pas organisé avant les élections. Le
code des collectivités territoriales, tout comme le règlement intérieur de la ville
du Cannet, prévoit pourtant qu’il se réunisse « au moins une fois par
trimestre ».
Que contient ce rapport pour que
la maire entretienne le plus grand secret depuis plusieurs mois ? Selon
nos informations, les magistrats de la CRC se sont penchés sur l’explosion de
la dette de cette commune de 42 000 habitants. Dans le budget
primitif 2013 de la ville, elle dépasse en effet 83 millions d’euros. Un
chiffre qui a doublé par rapport à 2006, puisqu’elle était alors de 39,59 millions
d’euros. La capacité de désendettement est quant à elle passée de 5,8 (en 2006)
à plus de 27 ans (en 2009), alors que le ratio d’alerte commence à 15 ans.
Les rapporteurs ont également
travaillé sur le musée Bonnard, inauguré en juin 2011, dont la
construction et les charges élevées représentent un coût supérieur aux
recettes. Ses opposants accusent Michèle Tabarot d’avoir créé un musée qui « a
coûté une fortune » et dont le montant a été « saucissonné ». Ce
qu’elle avait démenti, lorsque Mediapart l’avait interrogée, en janvier 2013 :
« On a fait le coût le plus serré possible. Un musée qui coûte 5 millions
d’euros, ce n’est rien ! Il n’est pas le gadget qui a épuisé les finances
communales. »
Mais selon Daniel Béroud, élu
divers droite et ancien adjoint aux finances de Tabarot, non seulement « sa
construction a coûté 13 millions d’euros si l’on prend en compte tous les
aménagements, qu’elle appelle "travaux d’accompagnement" », mais
« le compte administratif 2012 fait apparaître un déficit de fonctionnement
d’un million d’euros ».
Autre élément passé au crible par
la CRC : la gestion du personnel municipal, et notamment des contractuels.
Face au nombre important de non titulaires, les magistrats de la CRC ont
demandé à la mairie de régulariser cette situation. D’après plusieurs élus et
employés municipaux, une première vague de titularisations a déjà eu lieu
courant 2013. Selon eux, « une part importante » des employés n’étaient
pas titularisés malgré une ancienneté d’« une dizaine d’années » pour
certains.
« La proportion d’agents non
titulaires n’est pas anormalement élevée », avait jugé Michèle Tabarot lorsque
nous l’avions questionnée, en la justifiant par « le choix de la commune
de gérer en régie de nombreux services habituellement gérés par des prestataires
privés ».
Le paiement « irrégulier » de 51 485 euros de primes à des collaborateurs de cabinet
Les magistrats de la CRC ont
également exploré les primes. Des irrégularités dans le versement de primes et
d’un salaire à des collaborateurs de cabinet de Michèle Tabarot ont déjà été
soulevées par la CRC dans un jugement rendu public le 26 septembre 2013,
qui « découle de notre contrôle des comptes à la mairie », explique à
Mediapart le président de section de la CRC, Bernard de Bruyne, tout en
précisant que le rapport d’observations et le jugement sont « deux procédures
distinctes ».
Ce jugement met en cause le
comptable public pour le « paiement irrégulier » de plusieurs primes
versées à cinq « collaborateurs de cabinet », en 2010, pour un
montant total de 51 485,29 euros. Trois d’entre eux ont respectivement
touché 19 013 euros, 16 697 euros et 12 073 euros
cette année-là.
Concernant la « prime de fin
d’année », « servie à trois des collaborateurs de cabinet pour un montant
total de 3242,07 € », la CRC note que non seulement son versement
était « en contradiction avec la réglementation applicable à ces
collaborateurs », mais qu’il était « absent des arrêtés ». Selon
Bernard de Bruyne, l’irrégularité « est liée à la mairie, qui n’a pas bordé
suffisamment les conditions de rémunération », et « dans le
prolongement, au comptable, qui a payé malgré l’absence de pièces
justificatives ».
La commune a fait appel de ce
jugement devant la Cour des comptes. Questionnée par la CRC sur ce « préjudice
financier » subi par la commune, Michèle Tabarot a « fait savoir qu’(elle)
ne le considérait pas ainsi » et évoqué les « services rendus »
par les collaborateurs en question. De quels services la maire parle-t-elle ?
À cette question non plus, nous n’avons pas obtenu de réponse de sa part, ni de
celle de ses services (lire notre Boîte noire).
Le jugement pointe un autre
élément : le salaire versé en mai 2007 à un collaborateur de cabinet.
Cet agent a été rémunéré pour le mois « entier » alors qu’il « avait
démissionné le 18 mai 2007 », « ce qui a généré un
trop-versé de rémunération de 1570,56 € », écrit la CRC. Mais elle
estime que le comptable public « n’a pas manqué à ses obligations » :
il n’est pas établi qu’il « disposait en temps utile des éléments d’informations »
puisque la commune n’a « accus(é) réception » de la lettre de démission
que le 29 juin, « sans (le) rendre destinataire en copie de cette
dernière lettre ». « C’est une négligence de la commune »,
confirme Bernard de Bruyne.
Qui sont les collaborateurs
concernés ? La CRC ne livre aucun nom. Et la mairie ne publie aucun organigramme
de son cabinet. Pour l’obtenir, les élus de l’opposition ont d’ailleurs dû
écrire à la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Seule certitude,
le frère de la maire, Philippe Tabarot, candidat à Cannes, travaille à son
cabinet comme « conseiller technique », comme nous l’avait confirmé Michèle
Tabarot.
Les opposants, eux, s’interrogent.
Ils notent que lors du dernier conseil municipal, Michèle Tabarot a évoqué « des
produits exceptionnels pour un montant de 50 000 € et correspondant
principalement à des remboursements d’assurances ». S’agit-il des 51 000 euros
de primes ? « Jamais le conseil municipal n’a été informé de telles
anomalies », affirme en tout cas l’élu PS José Garcia Abia, qui juge ces
éléments « scandaleux ».
« La politique de la commune
vise à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite, le personnel
municipal est de plus en plus précarisé, les agents effectuent de très
nombreuses heures, leurs primes n’augmentent pas et plusieurs collaborateurs touchent
en une année plus de 51 000 euros au total, dont l’un près de 20 000 euros ! »
dénonce-t-il.
« Ces attributions,
"pour services rendus", sont scandaleuses et pas très morales, estime
le divers droite Laurent Toulet, par ailleurs référent dans le bassin cannois
de l’association anti-corruption Anticor. Cela traduit un certain nombre de
pratiques que nous dénonçons depuis longtemps et confirme qu’au Cannet, tout se
fait en catimini. »
Boîte noire
Mediapart enquête depuis
plusieurs mois sur la secrétaire générale de l’UMP. Michèle Tabarot nous avait
accordé un entretien en janvier 2013, à la suite duquel nous avions reçu
un courrier de son avocat avec « quelques observations ». Nous l’avions
à nouveau sollicitée en juin, avec de nouveaux éléments : elle avait
refusé toute interview et nous avait transmis ses réponses par email.
Pour cet article, nous avons sollicité à de nombreuses
reprises – par téléphone et par mail –, son cabinet, son
collaborateur, la direction générale des services et son responsable, Daniel
Segatori, le service des finances du Cannet et la direction des ressources humaines.
Nous n’avons reçu aucune réponse de leur part, à l’exception du courrier de l’avocat
de la ville mentionné dans l’article.
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